La symphonie naturale

Publié le par Toma

 

El Calafate, Patagonie, Argentine, dimanche matin. Un ciel bleu léger, quelques nuages blancs s'étiolent, un souffle d'air frais, le lac Argentino bleu vert en deuxième plan ,les montagnes enneigées ferment le ban, paysage apaisant. Sorti d'une longue nuit de sommeil rendue nécessaire par quelques excès, je m'assois, regarde, respire. Je remonte le fil des dernières semaines. Le film de ces jours où la nature parée des ces atours de fête m'a tourné la tête. Opération séduction murement préparée, parfaitement orchestrée, je n'avais aucune chance.

De Pucon et son volcan fumant, direction Chiloë, l'île hors du temps. Ici finit la route n°5, la Panaméricaine. Une île de landes, d'ajoncs, de pluie, de vent. Les églises comme les maisons sont en bois. Façades d'écailles au motif travaillé. Certaines habitations débordent sur l'eau, plantées sur leur pilotis. Ces palafitos mouchettent la côte d'éclats de couleurs au dessus des flots souvent noirs. Les hommes labourent les champs ou la mer, c'est selon. Sillon de terre grasse, je reverrais un attelage de bœufs et mangerais des poissons et coquillages encore trempés. Les mains sont épaisses, les regards francs, les bonnets de laine tricotés. Quelques îlets ceignent la grande île. Certains sont habités. Banlieue insulaire, les bacs et ferrys servent de périphérique. Je me balade au fil de l'eau salée de l'océan, de l'eau douce des ondées. Ma capuche est souvent remontée, les mains enfoncées au fond des poches. Pas grand chose d'autre à faire que prendre l'air. L'air du temps, l'air du large, l'air détaché, détachement des vanités, des excès, des faux semblants. Écouter les vents, les histoires, les gens.

Retour rapide sur le continent avant embarquement. A peine une journée partagée avec vous, Susana et Nicole. Quelques heures pour se rencontrer, échanger, ouvrir encore une fois mes horizons par nos discussions. Avec toujours cette nature en cadre de fond. Volcans Osorno, Calbuco, lac Llanquihue. Que de beauté. Je repartirai trop vite. Frustré. Mais j'ai appris à ne plus me retourner. Le quotidien du vagabond.

Cap au sud, par la voie maritime. Le Puerto Eden, un cargo aménagé servira d'hôtel à une centaine de passagers. Navigation à travers les canaux patagons. Quatre jours longs, lents, monotones. Et pourtant, je les verrais à peine passer. Les trois repas quotidiens ponctuent la journée. Le bateau se fraie un chemin dans ce dédale d'îles et d'eau. Le ciel n'est plus que gris, le vent fraichit, les couleurs s'assombrissent. Le vert des arbres vire bouteille, le bleu marine profond. Deux ou trois arcs en ciel délavés apportent une touche de clarté. Quelques oiseaux nous accompagnent un moment. Les mouettes volant haut, au vent, les albatros au ras de l'eau. A chacun son couloir aérien, ballets de planeurs emplumés.

Au deuxième jour, le rendez vous avec le Pacifique. Le cargo sort des eaux protégées pour descendre plein sud, en pleine mer. Ça secoue souvent fort dans ces 12 heures à découvert. Nous aurons beaucoup de chance, la houle d'ouest sera très modérée. Pas beaucoup plus de deux mètres. Nous serons quand même moins nombreux à diner ce soir là. Vrai que le roulis porte un peu sur la digestion. Le matin suivant, les eaux calmes retrouvées, les conversations reprendront à peu près là où les vagues les avaient arrêtées. Dernier jour, l'impatience gagne, les jambes réclament leur liberté, les sourires se font plus larges. Quelques heures encore et c'est la terre ferme de Patagonie sous nos pieds.

Puerto Natales, la porte d'entrée vers le parc national Torres del Paine. Avitaillement, renseignements, location du matériel. Avec Pépé, espagnol expatrié en Chine, nous préparons notre randonnée de 4 jours sur le circuit dit du W. comme d'hab, les sacs pèseront leurs douze, treize kilos. Dans le bus qui nous emmène au matin, nous retrouvons nos compagnons de navigation. L'ambiance est décontractée. Maintenant, on se connait. Billets d'entrée, dernier briefing, OK on tourne dans ce sens, quel est le dénivelé dans cette partie?, le bus de retour repart à quelle heure? Et c'est la mise en route. La météo est clémente, sans pluie, sans vent, un beau soleil presque chaud. Des conditions idéales, la chance est avec nous. Nous enchainons les étapes, à bon rythme, avec cette routine de la randonnée. Lever 6h30, petit déjeuner dans la fraicheur du nouveau jour, plier la tente, fermer le sac. Marcher 7 à 10 heures, un casse croute pour déjeuner. Le soir, monter le bivouac, des ablutions vite expédiées dans l'eau des rios, une soupe déshydratée, des nouilles chinoises, une pomme ou une banane. Coucher de bonne heure, dans nos duvets sarcophages, emmitouflés de la tête aux pieds, les nuits sont fraiches. Lever 6h30,... sauf que les paysages sont tout sauf routiniers. En quatre jours, c'est un véritable festival. Les Torres dont les pieds plongent dans un lac de glace, les lagunes à l'eau bleu, vert, turquoise, les glaciers de la vallée des Français sur lesquels déferlent des avalanches au grondement terrifiant, le glacier Grey, immense vague d'eau douce pétrifiée par le froid. Les forêts où les arbres portent les stigmates des supplices du vent. Les troncs noueux sont vrillés, les branches brisées. Dans leur lutte, les végétaux renoncent au vertical bien trop dangereux. Alors ils s'étalent, à l'horizontal. Les feuilles piquent comme des épines, les fleurs sont riquiqui. Quelques condors dans le ciel. Tant de beauté porte à l'âme. Lame de liberté. Ce bivouac où nous sommes seuls, nu sur un rocher, je m'asperge d'eau froide dans le vent du soir, la pluie menace, ma peau frissonne, mes pieds virent à l'écarlate, anesthésiés, le grondement du torrent, mes doigts sont gourds, pleins de savon, mon esprit se détache, je me regarde, je regarde autour, je regarde au dessus et je me sens glisser, me fondre dans cette nature, je retourne à l'état nature, tout petit bout de bonhomme que je suis, perché nu sur mon rocher, au fin fond de cette vallée. Expérience intense, quasi transe statique, extatique, la mystique des éléments, leurs forces coulent dans mon sang, je capte leurs énergies. Je reviens sur la berge, je me sèche, je me rhabille tout en frissonnant, mes pieds se réchauffent en hurlant, brulure du froid. Mon cœur bat, lentement, une étrange sensation en moi, une paix, une pulsation de vie, corps et âme à l'unisson. Peut être l'absolu?

Torres del Paine, Patagonie, terre de nature du bout du monde où des fois on trouve ce qu'on ne cherchait plus.

 

Publié dans Chili

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V
<br /> Sûre qu à ton retour ce voyage, ce temps pour vivre, connaître les autres, sera une empreinte qui guidera tes jours à venir en France. « Pour frayer un sentier nouveau, il faut être capable de<br /> s’égarer. »(c’est pas de moi, ça ce saurait, c’est de Jean Rostand).<br /> J’arrête là de jouer l’intello et je rejoins Ces (non qu’elle ne soit pas intello, c’est ma philosophe préférée) : c’est quoi cette censure? T’as osé mettre une photo de Hristo en train de lire et<br /> tu veux pas te montrer à poil ? Tu fermes (peut-être) la porte à de nouveaux débouchés pour une reconversion.<br /> La bise<br /> <br /> <br />
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T
<br /> <br /> Salut Valé,<br /> <br /> <br /> Merci pour cette citation, je devrais faire un recueil à mon retour.<br /> <br /> <br /> Côté photo, je ne pense à aucune reconversion qui nécessite ce genre de cliché et puis je ne suis pas encore assez mégalo pour me photographier nu sur un rocher. En plus, vu les conditions<br /> climatiques (notamment la température plus que fraiche), je n'étais pas sous mon meilleur profil.<br /> <br /> <br /> La bise<br /> <br /> <br /> <br />
G
<br /> Ouais ben moi, ce WE je suis allé à Nature & Découverte... Alors ta Patagonie...<br /> sinon aucune citation à méditer pour ma part.<br /> Bises<br /> G<br /> <br /> <br />
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O
<br /> il n'y a rien d'exceptionelle à voir là je suis sûre.<br /> <br /> <br />
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C
<br /> euh dis donc...elle est ou la photo ou tu es nu sur ton rocher??? j'ai pas trouvé!!<br /> <br /> <br />
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T
<br /> <br /> Désolé pas en ligne, diffusion très très restreinte.<br /> <br /> <br /> La bise depuis El Calafate<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> "Mais j'ai appris à ne plus me retourner. Le quotidien du vagabond".<br /> interesting. a mediter.<br /> "avance toujours avance... " souvent en lisant tes articles j'ai ce tempo en tete de -15e round- B. Lavilliers.<br /> tres emue et touchee par la fin de ton article. je t'embrasse.<br /> <br /> <br />
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