Les cerises sur le gâteau

Publié le par Toma

 

Le voyage de loisir. C'est un type de voyage que j'avais un peu perdu de vue. C'est con parce que c'est le plus courant. Comme quoi facile de perdre de vue des évidences. Un voyage léger, d'agrément, sans question, à partager, à profiter. Un voyage où je passe la main. Je suis. Je te suis, toi mon ami Guillermo qui m'ouvre ta porte et m'offrira ton lot de surprises. Je passe la main. Dans ton dos, toi, Jolie Madame, qui m'a ouvert tes bras, que je retrouve ici. Concordance de lieu, de temps, de belle gent.

Retour à Buenos Aires, la ville port, parcourue trop vite il y a un an. Cette fois j'ai le temps.

Le temps d'un pas de tango dans cette milonga au charme rétro. La piste est en bois, les talons hauts, les murs quadrillés de damiers rouge et noir. Les tables délimitent le carré où les couples bientôt me donneront leçon. Après l'invite du monsieur, la pause. Les premières mesures défilent, les danseurs enlacés fixent l'instant de leur immobilité, prélude figé. Visages fermés, les corps à l'arrêt, joue contre joue, la musique s'écoule,... quand, sans rien l'annoncer, le mouvement nait. Parfait, synchronisé, fluidité tantôt laminaire, tantôt turbulente, hypnotiques, dix, quinze, vingt couples sillonnent l'air, la singularité et l'éphémère transcendées dans un ensemble à l'esthétique universelle, atemporelle. Les figures, les pas, géométrie complexe de l'instant, je regarde fasciné. Dans la résonance de la note finale, les couples gravent encore le temps de leur ultime pause, avant que de se quitter. Silence et puis la musique de l'orchestre reprend. Un tango percussif qui vise l'uppercut. L'énergie qu'il dégage, de suave à brutale, m'enivre, me tourne la tête, me tourne les sangs, quasi en rut. Quatre bandonéons marquent la mesure de leur coup de tête, de leur battement de pied, le pianiste martèle la ligne de basse, en écho la contrebasse, le violoncelle fait le pont avec les trois violons. Variations rythmiques tendues, le bandonéon dans sa lente ouverture crie son agonie, déchire l'âme dans le profond... puis d'un coup se révolte, se cabre, se ferme dans une saccade de contractions, ses à-coups secs cinglent et giflent l'air, de leur staccato les violons enfoncent le clou, le piano leur répond. Le final explose, KO debout.

J'ai le temps de flâner dans les rues à ton bras, entre promenades et sorties. Expositions, restos, une glace, un telo, un spectacle ça te dirait?, dîners entre amis, barbecue, après midi piscine et même deux footings. Quinze jours de vacances, de rires, de plaisir. Les sacs sont à terre, nos têtes légères. Épicure prend l'accent argentin, Rabelais s'installe sur les bords du Rio de la Plata. Merci à toi pour tout cela.

Mis au vert, tous les trois, direction la pampa, l'estancia familiale, perdue au milieu de mille hectares. Là, ton papa, homme de force et de courage, nous fait les honneurs. Visite guidée de ce lieu chargée d'histoires. Comment il côtoya son cousin dans sa jeunesse et jusqu'à Cuba. Son cousin était médecin. Il s'appelait Ernesto Che Guevara. Comment il survola la Cordillère des Andes, dans son petit Cesna, sa femme et un ami à bord, la mort qui les frôla. L'Aéropostale sitôt s'invite à table. D'anecdotes en souvenirs, ni pompeux, ni vaniteux, cet homme vieux au regard clair nous offre, de sa voix chaude et calme, des tranches de sa vie pas banale. Je les écoute, les yeux, les oreilles grands ouverts, gamin émerveillé par ce grand père à la destinée pas ordinaire.

Pampa oblige, la cavalcada est inscrite au programme. Quel meilleur endroit choisir pour mon baptême du feu sur un canasson. Le matin, c'est avec une vieille jument que je ferai mes premiers pas. Trot, galop. Elle a des heures de vol, tout les gamins lui sont montés sur le dos, les novices ça la connait. Nous partons visiter la propriété, traversant champs et pâturages, entre cultures et troupeau. Pas vraiment rassuré, c'est haut ce con de bestiau. Je finis quand même par me dégauchir et trouver un semblant d'équilibre, perché sur ma vieille maman. Au retour, j'oscille entre l'envie d'y retourner et encore un peu d'appréhension. Deuxième sortie en fin d'après midi, cette fois ci je monte directement en première division. Un cheval de gaucho, un vrai, Alezan. Entre lui et moi, la première heure sera plus qu'hésitante. Je flotte dans mes étriers. A chaque galop, je finis pantin désarticulé à chercher comment l'arrêter. Oh putain, surtout pas lui lâcher la bride sinon il part au quart de tour, merde, merde, merde... Les sangles resserrées, la confiance finit par s'installer. Je prends mes marques, je trouve ma position, le dosage des rênes, hey ça devient carrément plaisant. Le soleil rejoint l'horizon, nos ombres nous devancent, le vent tombe, les oiseaux se posent, la campagne enfile doucement sa chemise de nuit. Nous vérifions les troupeaux, dans ce couchant. Un dernier pré, quatre chevaux sauvages, pas débourrés, nous nous lançons à leur poursuite, juste toi et moi, côte à côte, au galop, dans cette pampa d'un soir de printemps. Le vent vitesse, l'excitation de la course, les chevaux dans l'effort, le choc des sabots, les ondulations de ma monture, une douce folie qui me remplit, une charge d'adrénaline patinée du bonheur de l'instant partagé dans cette chevauchée pleine nature. Les yeux pétillent de joie, les sourires sont généreux, je ne sens même plus ma fatigue. Halte, tu repères un veau esseulé. Il n'est pas dans la bonne parcelle, il faut le guider, lui faire passer deux portails pour qu'il rejoigne le troupeau, retrouver sa mère. Pas simple tant il est apeuré, il court dans toutes les directions. Non sans mal, tu lui fais passer le premier portail. Tu me donnes la charge de lui faire franchir le second. Je me place une dizaine de mètres derrière lui, au pas. Il longe la clôture, s'arrête, tente un demi tour. Je le suis, le bloque, le refait avancer. Mon cheval réagit à mes moindres mouvements, il stoppe, tourne à 90° degrés, repart à droite, reste à la distance appropriée. Incroyable de dextérité et de facilité. Le regard rivé sur le veau, lentement j'arrive à lui faire passer le deuxième portail. Sa mère le hèle, il accourt vers elle. Tu refermes le portail. Je me sens rempli de fierté comme un petit garçon qui pour la première fois fait ses lacets. Nous rentrons vers la maison, il fait presque nuit. Le mouton égorgé du matin nous attend maintenant sagement, cuit. Ripaille gourmande, on mange avec les doigts, un malbec pour nous tenir compagnie. Mon cœur est réjoui. Il est même gras, gavé de toutes les joies de ce voyage. Mon corps entier, de l'âme aux pieds, se sait repu. Tellement qu'une évidence, le retour coule de soi. Quoi de plus après tout cela.

 

Publié dans Argentine

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H
<br /> pour moi , la cerise sur le gâteau a été cette journée de samedi 11 /12. Quelle belle fête de l'amitié et du partage. Nous avons baigné dans la tendresse( quel ami magnifique que Christophe et<br /> quels amours que Marie , Marie et Sarah); Merci de m'avoir permis d'être des vôtres .<br /> Pourrait on avoir votre ressenti sur cette journée , une dernière page du blog peut être moins exotique mais tout aussi sensationnelle ?amicalement . Hélène<br /> <br /> <br />
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T
<br /> <br /> Magnifique ami c'est possible mais bruyant ça c'est évident. Marie, Marie et Sarah, une de ces belles rencontres de voyage qui résonnent jusqu'ici, merci à vous et elles d'être venues.<br /> <br /> <br /> <br />
O
<br /> Le monde est grand ou le monde est petit? Je me pose cette question depuis toujours. Demain tu pourras peut-etre m'aider. Olivier ton cousin.<br /> <br /> <br />
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T
<br /> <br /> Oula, faut que je cogite un peu la question. Typiquement, il me faudrait 6 à 8 heures de bus pour esquisser une opinion. J'apelle ça la philosophie des transports. Pour en discuter demain. Avec<br /> le plus grand plaisir!!<br /> <br /> <br /> La bise à tout le monde,<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> comment va-t-on faire, nous qui ne te connaissons pas directement, qui suivons ton voyag et surtout ton talent d'écriture et de conteur, de manière assidue avec un grand plaisir !Peut-être peut-on<br /> te demander le tome 2 qui s'intitulerait "le retour à une vie ordinaire"...Je vais demander à ta maman d'intercéder pour nous... les abandonnés... danielle<br /> <br /> <br />
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T
<br /> <br /> Bonjour, merci pour ce commentaire. Je suis touché, particulièrement de la part d'une grande lectrice.<br /> <br /> <br /> "nous qui ne te connaissons pas directement...", là par contre je ne suis pas tout à fait d'accord. Je pense qu'après ces dix mois de chroniques, d'humeurs, de billets, de photos, de vidéos, vous<br /> me connaissez un peu, beaucoup, en tout cas beaucoup plus que moi je ne vous connais. Il y a là un déséquilibre flagrant. Alors pourquoi ne serait ce pas vous qui prendriez la suite pour le tome<br /> 2?  Chroniques de la vie dans la France d'aujourd'hui. Ne dites pas non, tout de suite, réfléchissez à l'idée.<br /> <br /> <br /> Rien à voir, mais votre commentaire me fait penser à une BD que personnellement je trouve très drôle, "le retour à la terre" de Manu Larcenet. Chronique d'un autre type de voyage. Si vous ne<br /> connaissez pas déjà, jetez y un coup d'oeil, vous me direz. Et ça peut faire un cadeau sympa pour vos proches en cette période de fêtes.<br /> <br /> <br /> Amicalement, peut être à demain (ne dites pas non tout de suite, réfléchissez à l'idée et vive le TGV),<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> une autre forme de poésie<br /> http://www.bibri.net/2009/08/31/kapela-hraje-tak-dobre-jak-hraje-bubenik/<br /> pour t'accompagner sur le chemin du retour<br /> tcho<br /> <br /> <br />
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T
<br /> <br /> Superbe, tant que des artistes vivront... Quand Massey Fergusson rencontre une six cordes. J'aime beaucoup. Merci.<br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> se dégauchir pour un gaucho en herbe , n'est-ce pas un peu contradictoire ?? Bon tu es inscrit d'office aux dimanches tango dans le parc à Bordeaux , et je suis prete à faire un chèque pour voir la<br /> video de ta demo samedi :)<br /> <br /> <br />
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T
<br /> <br /> Et alors, ne peut on vivre en accord avec ses contracdictions? Voila un beau sujet de réflexions, c'est dommage, je n'ai plus des heures et des heures de bus pour y penser.<br /> <br /> <br /> Pour la démo, cf réponse au commentaire ci dessous.<br /> <br /> <br /> La bise,<br /> <br /> <br /> <br />