Dàzhài, le village dans les nuages
Dans la province de Gangxi, sud est de la Chine.
La Chine, ce pays immense qui me faisait plutôt peur en arrivant. Même en voyage, les clichés ont la vie dure. J'en approchais presque à reculons. Parle pas anglais, sont mal éduqués, sont si nombreux, c'est compliqué...
Tout ça balayé au premier contact, sitôt la frontière passée.
Là où je suis, gentils, souriants, ouverts, des gens attachants.
Pan! sur mes doigts, ça m'apprendra à céder aux peurs des clichés.
Je traverse un bout de pays dans un bus de nuit. Équipé confort avec de vraies couchettes. Seul souci, l'uni de la chaussée. Ca tremble, ça vibre, autant essayer de dormir sur sa machine à laver. Position essorage. La nuit ne sera pas de tout repos. Une arrivée petit matin, lessivé.
Dans cette province riche en sites, je choisis les cultures en terrasse. Perché à plus de 1000 mètres, un ensemble labyrinthique, sinueux, fractal. Mandelbrot apprécierait cet espace inscrit dans la terre. Des kilomètres de linéaires parcourus de chemins empierrés ou embourbés. Pendant que je marche, les images abondent. Ici un Shar-peï ou une pièce montée, là des villosités intestinales, oh! un cortex cérébral.
Travail de titan pour développer ces surfaces arables des pentes forestières. Quelle pression a poussé des hommes à se tuer à cette tâche? Quelle peur les a forcé à s'accrocher à ces flancs? Résister à un envahisseur, fuir une pandémie?
Sur les versants épargnés, des forêts étranges mêlent conifères et bambous. Mélange d'essences assez particulier. Tiges et aiguilles entrecroisées.
Et partout l'eau ruisselle. Des rizières, des cascades, du ciel. 100% d'humidité. Les nuages habitent aussi dans cette contrée. Ils s'installent dans les vallées, se blottissent entre ubac et adret. Le soleil n'est plus qu'un mythe. La météo locale, alternance de bruines et d'ondées entrecoupées d'averses. Mais comme c'est bizarre, je ne savais pas qu'il faisait si chaud dans les nuages. Les gouttelettes sur mon front, pluie ou sudation? J'enlève et remets ma capuche à l'image d'un essuie glace.
Tandis que mon esprit surfe sur ces cordons de terre, une divagation. Et si ces terrasses étaient d'abord des râpes à nuages. Leur but premier, les éventrer pour extraire leur humidité. Les rizières seraient nées de ces flots célestes traits.
Les brumes pénètrent mes pensées, mes pieds suivent les dalles alignées, délicieuse sensation de flotter.
A l'heure du goûter, je rentre au village. Un ilet de maisons traditionnelles de bois et de pierre. Leur taille me surprend, deux, trois étages. Construction à l'ancienne. Pas un clou, tout est emboité, en-claveté, ajusté. Jusqu'à la rampe de l'escalier. Prouesse de charpentier. Les femmes tissent ou cousent. Assises dans leurs habits d'ici. Jupe noire, haut rose, cheveux attachés. De l'école voisine, rugit un tohu-bohu plein de santé. Il durera jusqu'à l'heure du souper. Ils pètent le feu, ces petits de Dàzhài. Ce village où les hommes vivent dans les nuages.