Bestiaire de la route
Sur les routes et chemins, quelle biodiversité.
Mais une seule règle, la taille fait roi.
Revue de détails de cette jungle grouillante au ras du sol.
Les mammifères, espèce la plus exposée à tous les dangers, à une exception près, les bovidés.
Tout en bas; les canidés. Faméliques, ils ne s'aventurent guère sur le pavé. Plutôt à dormir sur les bas côtés.
Les humains; regroupent toutes les catégories, tous les ages, enfants, femmes, hommes, vieillards, handicapés. Foule marcheuse, laborieuse, pressée. Espèce dominante du monde animale, ici reléguée en bas de l'échelle mobilité. Harcelée par les gradés, les véhiculés. Risque gros à chaque traversée. Faisant souvent parti de cette catégorie j'ai déjà développé quelques techniques. Estimer sur l'instant la vitesse et le temps d'impact avec un véhiculé, appréhender leur densité, calculer la probabilité de succès d'une traversée, suivre et imiter des passants plus aguerris dans ce milieu magmatique, se protéger en aval d'un véhiculé engagé en courant à ses côtés.
Changer de trottoir devient un acte engagé.
Les bovidés, les maîtres, au dessus de tous mais ne profitent pas vraiment de leur supériorité. Entraperçus quelques fois plantés sur la chaussée. Effet immédiat garanti, ça freine dur et évitement de tous les côtés.
Les chevaux, mules, chameaux. En général attelés à une carriole, restent impassibles; suivent leur chemin sans s'énerver.
Les éléphants. En ai croisé deux, tellement estomaqué sur le coup que je n'ai rien noté.
A Jaipur, j'ai bien vu quelques singes aussi. Mais ils restent sur le haut des toits, ils ne descendent pas au niveau zéro.
Les véhiculés, se distinguent en deux catégories, les motorisés et les autres.
Les autres, charrette à bras ou tractées, vélos, tricycles porteurs, rickshaws, ce sont les petits des grands. Méprisent autant les mammifères qu'ils sont méprisés des motorisés. Certains, frustrés, vont jusqu'à installer des sirènes pour rassembler aux êtres supérieurs. J'ai, quand même, pour eux une certaine reconnaissance devant leur énergie et leur courage face aux motorisés. A Delhi, cet homme arcbouté sur son guidon, neuf ou dix gamins accrochés à son rickshaw.
Les motorisés. Surpopulation hétéroclite, motocycles et motocyclettes, auto-rickshaw, automobiles, triporteurs, camions, autobus, poids lourds. Leur signe d'appartenance, sont équipés d'un avertisseur sonore en permanence actionné. Leur sésame pour vivre en complète liberté. Pas de limite, pas de contrainte, la seule règle, la taille fait roi. Au firmament, les plus gros.
L'ensemble de ces espèces cohabite dans une anarchie absolue, faisant fi des lignes, des contresens, des feux, des passages piétons. Leur nombre est incalculable, bien plus que ne peuvent supporter les chaussées. Leurs comportements sont imprévisibles, écoulement très turbulent dans un continuum de klaxons qui vrillent les tympans. Tout ça, sous le regard impassible de quelques flics usés, qui parfois font des moulinets, dérisoires.
Le chaos urbain absolu.
Et pourtant, depuis le départ, souvent perdu dans cette jungle, à pieds ou en auto-rickshaw, je n'ai observé aucun accrochage ni même de dispute. Incroyable, isn't it.